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Congrès annuel SFT - Paris, 23-24 octobre 2006
"Toxicologie de la pharmacodépendance aux médicaments et aux drogues"

De la clinique à l'expérimental : application en Toxicologie de la pharmacodépendance aux médicaments et aux drogues

Michel MALLARET
CEIP, CHU, Grenoble

[English version]


La toxicologie expérimentale et clinique apporte des informations majeures, au cours de l'évaluation des conséquences du potentiel d'abus et de dépendance d'une substance. Les travaux expérimentaux issus des questions cliniques enrichissent-ils l'évaluation ? Dans quelles circonstances, la clinique oriente-t-elle la recherche expérimentale ?

1. La symptomatologie clinique nécessite souvent un « retour » à l'étude toxicologique, pour confirmer ou infirmer le rôle d'une substance, pour rechercher un mécanisme physiopathologique. Ainsi, les données cinétiques peuvent expliquer la survenue retardée, chez l'Homme, d'un syndrome sérotoninergique induit par la 4-MTA (4-méthylthioamphétamine) ; les études toxicologiques précisent les facteurs de risque de survenue d'une hypo- ou d'une hyperthermie après la prise « d'ecstasy ». La détermination du mécanisme d'action permet même d'orienter la prévention secondaire. Par exemple, la survenue de « syndromes de Popeye » (hypertrophie des avant-bras par atteinte veineuse et lymphatique) chez les injecteurs de médicaments implique la nécessité de travaux toxicologiques ; il est donc nécessaire d'effectuer une recherche toxicologique sur les éventuelles atteintes veineuse et lymphatique des excipients (par exemple, l'amidon de maïs et le stéarate de magnésium), même si l'usage normal de ces excipients n'inclut pas une administration intraveineuse : en effet, l'évaluation du rapport bénéfice/risque d'un médicament doit prendre en compte toutes les conséquences d'un possible mésusage pour des spécialités à risque.
2. L'apparition de nouveaux syndromes cliniques ou de nouveaux comportements nécessite de nouvelles études expérimentales toxicologiques systématiques. Ainsi, l'existence de cas fréquents de soumission chimique justifie la détermination d'éventuels effets toxiques (amnésie, sédation, désinhibition, troubles comportementaux) de nouvelles substances psychoactives, mais aussi des risques toxiques de colorants ou de substances amères nécessaires à la prévention de ce syndrome. Les données toxicologiques liées à une voie d'administration inappropriée (exemple : effets toxiques et pharmacocinétique de la naloxone sniffée ou fumée ?) doivent être étudiées, avant même la survenue de cas cliniques.

Comment favoriser un réel développement de ces travaux ? Il faut une prise de conscience Européenne de ces besoins toxicologiques, dans le domaine de la pharmacodépendance. Avec l'apport continu des informations cliniques, il faut prévoir, organiser et adapter à l'Europe une évaluation toxicologique non clinique et clinique des futures spécialités médicamenteuses pouvant être abusées, mais aussi des excipients et des substances synthétiques illicites. Dans ce dernier cas, le calendrier est le plus souvent « inversé », avec constatation de l'usage et de l'abus, prise en charge épidémiologique et clinique, puis organisation dans les meilleurs délais d'une évaluation toxicologique non clinique, somme toute alors assez proche de celle préconisée avant même leur mise sur le marché pour les médicaments psycho-actifs ayant un potentiel de pharmacodépendance.

Devant ces nouveaux défis liés à l'irruption des abus des « nouvelles substances psychoactives de synthèse » mais aussi du détournement important des médicaments, des propositions doivent être faites pour ne pas attendre les informations cliniques éventuelles pour envisager, avec retard, des études expérimentales pour tout psychoactif, quel que soit son statut réglementaire. Quelles sont ces propositions :

L'accès possible à une substance pure pour la recherche expérimentale : cette exigence est particulièrement importante pour les « drogues bricolées » ou « designer drugs » présentes avec d'autres constituants dans une poudre, sur le marché illicite : une synthèse de cette substance est souvent « l'étape limitante » de l'évaluation toxicologique et du potentiel de dépendance.
La possibilité d'analyse de la poudre (des comprimés, des liquides,…) afin de déterminer l'origine de la substance abusée ou détournée : la cristallographie, entre autres techniques, peut permettre de comparer une poudre saisie au médicament licite, les deux contenant la même substance : l'analyse peut permettre de déceler des similitudes évocatrices d'un détournement d'une spécialité médicamenteuse (exemples : kétamine, morphine,...). La détection de certains précurseurs dans une poudre permet de connaître les modalités de synthèse d'une substance (exemple : méthamphétamine).
La mise à disposition d'une « échantillothèque » permettant aux laboratoires d'analyse toxicologique de détecter une nouvelle substance apparue sur le « marché illicite »
La réalisation d'études expérimentales pharmacologiques, toxicologiques et du potentiel de dépendance et de détournement de substances psychoactives, qu'elles soient médicamenteuses avant commercialisation, ou qu'elles comportent un risque d'être sur le marché illicite.
La réalisation d'études expérimentales toxicologiques liées à l'étude des conséquences de l'usage détourné des médicaments (toxicité veineuse des excipients, etc.).
La pratique d'études expérimentales animales ou humaines pour mieux évaluer les conséquences physiologiques, comportementales, sociales de nouveaux syndromes tels que la soumission chimique ou les évènements festifs de masse (« raves, teknivals »).
L'adaptation des Plans de Gestion de Risques (PGR) médicamenteux à la problématique de la dépendance et du détournement : ces PGR doivent comporter une réelle évaluation du risque toxique et de dépendance mais aussi un programme précis de minimisation du risque dans ce domaine.

Toutes ces études doivent être effectuées au sein d'un réseau de laboratoires de recherche expérimentale ou clinique. Ce réseau doit être officialisé et bénéficier d'un système d'assurance qualité et de moyens de contrôle de qualité.

 


Congrès annuel SFT - Paris, 23-24 octobre 2006
"Toxicologie de la pharmacodépendance aux médicaments et aux drogues"

From clinical to experimental data in Toxicology of drug dependence

Michel MALLARET
Centre d'Evaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance (CEIP) 
CHU, Grenoble


Experimental and clinical toxicology are useful for substance risk assessment and for the evalution of drug dependence liability. How clinical data may improve the experimental studies ?

1) Clinical symptoms often need, in this topic, toxicological works in order to have details of the mechanism and the responsability of the substance. Toxicology and Pharmacology may show the mechanism of a delayed serotonin syndrom after 4-MTA ingestion or the risk factors of hypothermia or hyperthermia after ecstasy use. When « Popeye syndromes » (forearms hypertrophy) occur in medicine crushers and intravenous injectors, more data about toxic effects of maize starch and magnesium stearate are needed.
2) New syndromes (chemical submission due to « date rape drugs » for example) need different experimental studies in order to analyse toxic effects (amnesia, sedation, disinhibition, behavioural effects) of these substances. Toxicological studies have to determine also the potential effects of colouring or bitter substances which prevent chemical submission. Toxicological data are needed in case of possible drug diversion (smoked or snorted naloxone for example), even before clinical case reports.

EU countries need clinical and experimental studies for the drug dependence, abuse and diversion evaluation. With the continuous clinical information exchange, experimental and clinical toxicological studies must be suitable for the new risks of drug diversion and “designer drugs” and favour a rapid substance risk assessment.

Use of new synthetic drugs and frequent misuse of medicine are a challenge and need to adapt experimental evaluation in order to predict and prevent drug clinical complications. What are our preliminary proposals ?

a) Rapid access for experimental laboratories to a pure substance : « designer drugs » are available on the black market but are not pure : substance synthesis in an authorised laboratory is a long-time consuming period which induces great delays for evaluation.

b) Radiocristallography is one of the several possibilities of powder (ketamine, morphine) analysis in order to know its origin : illegal synthesis or theft from a legal company. Analysis of precursors in a tablet (methamphetamine) may also inform about the synthesis methods.

c) Proposals of « designer drugs » samples to the toxicological laboratories in order to detect a new drug.

d) Pharmacological, toxicological works, dependence liability and diversion evaluation studies are needed for both medicines and « new psychoactive drugs » which are present on the « black market ».

e) Toxicological studies of complications of diverted medicines and drugs (intravenous toxicity, etc.).

f) Experimental studies of physiological, behavioural and social consequences of new syndromes (chemical submission, new events e.g. raves).

g) Risk Management Plans need to be adapted to dependence and drug diversion problems with an important risk minimisation program.

h) All these studies need to be included in an official experimental and clinical network with a quality control management.