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Congrès annuel SFT - Paris, 23-24 octobre 2006
"Toxicologie de la pharmacodépendance aux médicaments et aux drogues"

Médicaments de substitution des opiacés :
l'hépatotoxicité de la buprénorphine, une question toxicologique posée

Alain Berson. Inserm
U773, Centre de Recherches Bichat Beaujon CRB3, BP 416 F-75018 Paris.


La buprenorphine (Subutex) est un analogue de la morphine qui exerce un effet agoniste/antagoniste sur les récepteurs morphiniques. Proposée comme traitement de substitution aux opiacés, la buprénorphine est administrée par voie sublinguale (8 mg une ou deux fois par jour) afin de circonvenir sa faible biodisponibilité due à un important (90%) effet de premier passage hépatique. La concentration plasmatique au pic est de 0,02 µM après administration sublinguale et est 80 fois plus élevée après administration i.v . Dans le foie, le cytochrome P-450 3A (CYP3A) catalyse la N -déalkylation de la buprénorphine en norbuprénorphine et cyclopropanecarboxaldehyde.

Une augmentation modérée des transaminases ("transaminite") a été observée chez plusieurs patients lors des essais thérapeutiques du Subutex. Le potentiel hépatotoxique du Subutex a ensuite été confirmé par la publication, depuis 1998, de 13 cas d'hépatites cytolytiques d'évolution le plus souvent favorable après l'arrêt ou la seule réduction des doses du médicament (1,2). Une insuffisance hépatocellulaire est apparue chez deux patients . Les lésions du foie (étudiées dans 4/13 cas) associent de manière variable une nécrose hépatocytaire et une stéatose microvésiculaire. L'hépatotoxicité de la buprénorphine semble favorisée par son injection intra-veineuse illicite (6/13 cas), par une infection préalable par les virus hépatotropes (VHC : 12/13 cas ; VHB 1/13 cas), et par la prise concomitante de doses modérées d'éthanol (8/13 cas) ou de médicaments hépatotoxiques comme l'aspirine, le paracétamol ou l'acide valproïque (4/13 cas).

Les mitochondries sont les cibles majeures de l'hépatotoxicité des amines tertiaires lipophiles telles que la buprénorphine. La buprénorphine traverse facilement la membrane mitochondriale externe (en raison de sa lipophilie) puis fixe un proton dans l'espace intermembranaire acide des mitochondries. La buprénorphine ainsi réduite est « poussée » dans la matrice mitochondriale par le gradient de potentiel électro-chimique existant de part et d'autre de la membrane mitochondriale interne. Cette entrée frauduleuse de protons dans la matrice court-circuite l'entrée physiologique de protons par le canal de l'ATP synthase de la membrane interne et diminue la synthèse mitochondriale d'ATP (effet découplant). Dans un deuxième temps, l'accumulation intra-matricielle de buprénorphine inhibe la chaîne respiratoire mitochondriale et la formation d'ATP et inhibe la ?-oxydation mitochondriale des acides gras dont l'accumulation dans le cytoplasme sous forme de triglycérides est à l'origine de la stéatose microvésiculaire. Les effets mitochondriaux de la buprénorphine entraînent une chute précoce et profonde de l'ATP des hépatocytes en culture, à l'origine de la mort cellulaire par nécrose. Contrairement à la buprénorphine, la norbuprénorphine et le cyclopropanecarboxaldehyde sont dépourvus d'effets mitochondriaux, ne diminuent pas l'ATP cellulaire et ne sont pas toxiques vis-à-vis des hépatocytes en culture. L'administration d'une dose aiguë de buprénorphine chez le rat (25-100 nmoles/g, i.p .) diminue l'ATP hépatique à 4 hr et augmente modérément l'activité sérique des transaminases (transaminite) après 24 hr. L'inhibition du CYP3A par la troléandomycine diminue le métabolisme de la buprénorphine en norbuprénorphine (dépourvue d'effets mitochondriaux) et augmente la toxicité hépatique de la buprénorphine chez le rat.

Les virus hépatotropes et certains médicaments altèrent la fonction mitochondriale soit directement (interaction avec la chaîne respiratoire, inhibition de la ?-oxydation, lésions de l'ADNmitochondrial) soit indirectement (sécrétion de cytokines). La toxicité mitochondriale dose-dépendante de la buprénorphine pourrait donc favoriser la survenue d'hépatites cytolytiques chez certains patients dont la fonction mitochondriale est déjà compromise par une infection virale du foie et/ou par certains médicaments ayant une toxicité mitochondriale.

1- Hervé S et coll . Eur J Gastroenterol Hepatol 2004, 16:1033-1037
2- Berson A et coll . J Hepatol 2001, 34: 346-350